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Un samedi d’été, Madame appelle la médiatrice. Elle semble pressée. Monsieur veut se séparer.
« Nous avons trois enfants. Oui, oui, Monsieur est d’accord pour venir ensemble chez vous. »
« Oui, j’ai de la place la semaine prochaine. »
Bruxelles est un melting pot. Ici se côtoient les Bruxellois, ainsi que Flamands et Wallons qui se rendent chaque jour de la semaine à Bruxelles pour travailler. Presque deux tiers des habitants de cette ville sont originaires d’un autre pays. Aux milliers attirés de partout par la capitale de l’Europe, les institutions européennes ajoutent trente mille européens du Nord, du Sud, du Centre et de l’Est qui communiquent entre eux surtout en anglais, la langue qui supporte patiemment tous les accents.
Le couple s’assoit autour de la petite table ronde. Ils s’appellent Jean-Marc et Lotta. Il est français, elle, lituanienne, et se sont rencontrés dans une église aussi cosmopolite que la ville même. Lotta enseigne la musique dans une école privée, Jean-Marc est cadre dans une société d’informatique. Ils se sont mariés peu après leur rencontre et leur premier enfant est arrivé alors qu’ils louaient un petit appartement près du Sablon, au cœur de la ville. Après la naissance de la petite Lia, Lotta a pris un congé parental prolongé au terme duquel s’est retrouvée enceinte de jumeaux. A présent, les enfants sont âgés de 5 et 2 ans et Lotta vient de recommencer le travail. L’année passée la famille a déménagé en périphérie bruxelloise en achetant une maison avec jardin. Tout cela a eu un prix : les trajets se sont rallongés et la fatigue s’est fait sentie de plus en plus.
Jean-Marc semble décidé : il veut divorcer au plus vite. Il est en colère et veut passer à autre chose. Lotta semble absente. Jean-Marc énonce la liste des choses qui brûlent. D’abord, l’hébergement de leurs trois enfants, ensuite la maison, les meubles et dernier point : divers. La médiatrice a du mal à arrêter le flux des paroles de Jean-Marc pour lui expliquer comment fonctionne la médiation. Jean-Marc s’impose :
« Oui, je me suis renseigné sur la médiation, j’ai déjà contacté un avocat, venons-en à l’essentiel. »
La médiatrice regarde Lotta s’enfoncer dans le fauteuil. La médiatrice rassure Jean-Marc, il pourra parler tout de suite, et lui explique sa manière de travailler. Elle va donner la parole à chacun à tour de rôle. Ensuite elle va résumer les dires de chacun.
Lotta n’est pas encore allée voir un avocat. Sa meilleure amie lui avait donné le nom de la médiatrice qui avait aidé à régler une dispute intergénérationnelle dans sa famille. Elle semble croire que les médiateurs aident les familles à se réconcilier. Elle ne veut pas se séparer de Jean-Marc. Les larmes lui baignent les yeux. La médiatrice la touche gentiment et lui explique ce que la médiation peut leur apporter. La simple présence d’une tierce personne bienveillante aide les gens à se sentir en sécurité et alors ils peuvent commencer à discuter. De son côté, elle les accompagnera tous les deux à trouver des solutions qui marchent pour eux et leurs enfants. Et qu’être triste ou en colère c’est normal car il s’agit de la perte ou de la menace de perdre une relation très importante.
Lotta reprend ses esprits et passe à l’attaque.
« Si on se sépare, alors les enfants vivront avec moi dans la maison. » De son côté, Jean-Marc demande l’hébergement égalitaire alterné.
« Les papas sont capables de bien s’occuper de leurs enfants. Les recherches sur le poly-attachement le confirment, dit Jean-Marc avec assurance. » Il s’est informé sur beaucoup de choses, dont les alternatives à l’hébergement principal chez la mère. Il propose à Lotta de racheter sa part dans la maison, mais vendre c’est la dernière chose à laquelle elle pense et si jamais… ça va lui coûter cher.
La médiatrice essaie de comprendre ce qui se joue vraiment entre les deux époux.
« Je vois bien que vous êtes très fâché, Jean-Marc. »
« Vous ne le seriez pas ? rétorque-t-il. Elle ne me respecte pas, elle ne respecte pas ses vœux, elle n’en fait qu’à sa tête. Elle prend des décisions seule. C’est à cause de ça qu’on est arrivé là. J’étais d’accord d’avoir un enfant, mais pas trois. On ne vit plus ensemble, elle s’endort en berçant les enfants ! Elle est fatiguée tout le temps ! « Je peux vous ralentir un peu, Jean-Marc ? Vous dites beaucoup de choses importantes… C’est frustrant pour vous d’attendre que Lotta mette les enfants au lit et qu'elle revienne auprès de vous..., le temps passe et elle ne revient pas…»
« Oui, j’en ai assez d’être seul dans ce mariage ! C’est pour ça que je veux divorcer ! »
La médiatrice reformule les propos de Jean-Marc :
« J’entends que lorsque Lotta tarde dans la chambre des enfants et même s’endort là-bas, vous l’attendez, elle ne revient pas… alors vous croyez qu’elle préfère passer la nuit avec eux et pas avec vous et que vous ne vous sentez pas respecté en tant que mari… ai-je bien compris ? »
« C’est ça ! Oui, tous passent avant moi ! Sa famille, quand ils viennent chez nous, elle n’est plus fatiguée, elle pourrait faire les magasins avec sa mère du matin au soir… et si son frère l’appelle, elle trouve toujours du temps pour parler. Moi, je ne compte pas ! »
« Donc, pour vous, Jean-Marc, c’est comme si tous les autres passeraient avant vous…, comme si Lotta préférerait la compagnie des autres, comme si elle ne vous verrait pas…»
« Exactement !! J’ai beau lui dire de ne plus courir après les enfants, de les laisser pleurer, ils arrêteront après un moment et s’endormiront. Elle ne m’entend pas ! »
« Et alors, que faites-vous, Jean-Marc ? Je ne peux rien faire, juste lui répéter pour la énième fois d’arrêter de courir aux premiers pleurs des garçons… ce n’est pas comme ça qu’ils vont devenir des hommes ! »
La médiatrice voit Lotta se redresser dans son fauteuil.
« Tu ne sais pas comment c’était difficile la nuit quand les jumeaux pleuraient et je devais les changer, les nourrir et les bercer ! »
« J’entends que c’était dur pour vous, Lotta, lorsque les bébés étaient tout petits… des soins à donner en double, vous ne pouviez pas vous reposer la nuit… »
« Je ne supportais pas les laisser pleurer… vous savez, mon petit frère pleurait beaucoup et ma mère n’allait pas bien… j’entends toujours ses pleurs… »
« Vous aviez quel âge à l’époque ? »
« 3-4 ans, je crois, mais c’était comme hier… »
« Ce souvenir vous cause de la peine… »
« Oui… j’avais besoin que Jean-Marc prenne congé et s’occupe des jumeaux afin que je puisse récupérer… Même si je te le demandais à longueur de journée, tu n’as pas voulu entendre ! Ta promotion était plus importante ! »
« Vous auriez eu besoin que Jean-Marc prenne congé pour s’occuper des jumeaux pour que vous puissiez récupérer la fatigue… »
« Oui, sa promotion comptait plus que ma santé… »
« C’était comme si le travail de Jean-Marc était plus important que votre santé… »
« Mais je travaillais pour nous tous ! intervient Jean-Marc. » La médiatrice se presse de reprendre la parole:
« Vous travailliez pour toute la famille… cette promotion, c’était pour votre famille ? »
« Mais bien sûr ! Nous avons pu acheter une belle maison à la campagne à cause de cette promotion. Je voulais que mes enfants puissent vivre dans la nature, qu’ils y grandissent paisiblement ! Moi, j’ai vécu dans des petits appartements et j'ai changé cinq fois d'école quand j'étais petit. »
« Vous avez changé cinq fois d'école quand vous étiez petit ? »
« Oui, mon père est parti quand j’avais six ans et n’est plus revenu à la maison et ma mère se débrouillait comme elle pouvait… »
« Cela a dû être difficile pour l’enfant que vous étiez… »
« Des fois je suis resté avec ma grand-mère à la campagne, mais toutes ces expériences m’ont rendu fort et j’ai bien réussi ma vie. »
« Je crois que je comprends mieux maintenant… je vous prie de me corriger si je me trompe. J’entends que lorsque vous, Lotta, demandiez de l’aide avec les bébés la nuit, vous, Jean-Marc, conseilliez Lotta de ne pas trop s’en soucier car, une fois nourris, même s’ils pleurent un temps, les bébés finiraient par s’endormir. Lotta, vous n’avez pas pu suivre ce conseil, car les pleurs vous rappelaient des choses douloureuses et vous, Jean-Marc, vous vous êtes retrouvé seul. De votre côté, Lotta, vous n’avez pas reçu l’aide demandée, vous avez continué à vous occuper des jumeaux et vous n’êtes plus revenue auprès de Jean-Marc. Vous vous êtes retrouvée seule aussi. C’est comme si vous étiez pris tous les deux dans une boucle sans fin, comme dans la programmation. » Jean-Marc devient attentif.
« La boucle sans condition de sortie, murmure-t-il. »
« Oui, chaque jour, la boucle commence avec les commentaires critiques de Jean-Marc et s’enchaine avec le retrait de Lotta. Et ainsi de suite, de plus en plus vite. »
Note. Les personnages, leurs histoires et leurs échanges sont fictifs.
C'est une histoire qui prouve la réalité des incertitudes qui ne sont pas agréable pour une famille...dans ces circonstances....qui exige une communication réelle et éficiente dans l'espace de la médiatrice...en cherchant des solutions pour surmonter les difficultés...