Pendant les séances de médiation, des époux, des parents et même des enfants, témoignent de la solitude que produit le conflit familial. Et pourtant, le foyer reste l'antidote à la solitude : il réunit les personnes qui « s’abritent sous la protection et l’attention les unes des autres[i] ». Si le foyer c’est plus que vivre sous le même toit d'une habitation, comment savoir alors si on fait partie d’un foyer ? « Vous faites partie d'un foyer s’il y a quelqu’un qui sait où vous vous trouvez physiquement aujourd’hui et qui a au moins une idée de ce que cela fait d’être là où vous êtes... Vous faites partie d’un foyer si certains autour de vous savent des choses sur vous que vous ne savez pas sur vous-même, y compris des choses que, si vous en aviez conscience, vous chercheriez à cacher[ii]… »
Le foyer représente dès lors la place où se tissent les relations les plus proches. Tous ce qui y vivent « entremêlent leurs actifs et leurs passifs, leurs dons et leurs vulnérabilités, de telle sorte qu’il est difficile de dire où se termine la part de l’un et où commence celle de l’autre ». Et si le conflit familial, ce « compagnon inévitable de la proximité » reflète justement la difficulté de gérer cette proximité ?
Car en Belgique, en 2022[iii], un mariage sur trois se clôture par un divorce. Un premier mariage aura duré en moyenne 16,5 ans, tandis qu’un deuxième, 11,8 ans. Si les adultes qui se séparent sont contraints de reconstruire leurs foyers, quid des enfants ? Dans 61,7% des cas, les enfants des couples divorcés ont leur résidence principale chez la mère (76,4% à Bruxelles) et dans 18,2% des cas, la résidence principale des enfants est établie chez le père.
Dans son Baromètre des parents 2022[iv], la Ligue des familles se penche sur le type d'hébergement choisi par tous les parents séparés et divorcés, wallons et bruxellois. L’hébergement exclusif chez l’un des parents reste le premier mode d’hébergement, étant sélectionné par 44% des parents. L’hébergement égalitaire vient en deuxième position, 28% des parents l’ayant choisi en 2022, en léger recul depuis 2016. Ces statistiques montrent qu'un bon nombre d’enfants vit donc en proportions égales chez leurs deux parents. Quel est leur foyer ?
Plutôt sans surprise, une étude minutieuse[v] menée sur 146 élèves francophones en hébergement égalitaire montre que le sentiment d’appartenir au foyer de la mère ou du père est associé avec la qualité de la relation avec la mère ou le père, mais aussi avec la qualité de la relation avec le nouveau conjoint ou la nouvelle conjointe. Le confort matériel a aussi son mot à dire, mais le foyer reste avant tout une place de relation.
Une autre étude[vi] a observé de près des jeunes qui transitent chaque semaine du foyer ou « l’île » de la mère, au foyer ou « l’île » du père. Même si ces îles sont parfois très différentes, les ados les façonnent via les objets personnels qu’ils transportent entre les deux « îles ». Certains essaient de construire un même espace chez chaque parent. D’autres se soucient de l’équité entre les deux parents en s’assurant qu'un même nombre d’objets, pulls, jeans, jeux ou autre, reste chez le père et la mère. D’autres préfèrent des espaces différents qui leur permettent d’expérimenter une autre façon de faire ou même d’être. Les enfants utilisent-ils les objets pour se construire un foyer tout en modulant les relations entre les deux parents ?
En tant que médiatrice familiale à Bruxelles, je reçois surtout des familles représentant des foyers qui peinent à survivre. Je leur offre un espace de discernement, souvent un espace de compréhension et de pardon mutuel. Parfois, malgré des difficultés énormes, des époux semblent vouloir donner encore une chance à leur foyer et quittent l’espace de médiation avec une nouvelle perspective ou entament une thérapie de couple.
Pour d'autres couples, la détresse courante pose un filtre négatif sur presque tous les comportements du partenaire, même sur les comportements neutres ou positifs du passé. Ces derniers couples cherchent alors en médiation un accord à l’amiable pour clôturer une période définitivement teintée par les couleurs du conflit des dernières années. Le couple parental subsiste et fait de son mieux pour élever ses enfants, mais pour de nombreuses familles bruxelloises les choses se compliquent.
L'Union européenne a adopté plusieurs Règlements Bruxelles successifs pour s'occuper des conflits autour du divorce et de l'autorité parentale avec une dimension internationale. Le dernier, le Règlement Bruxelles IIter est entré en vigueur le 1er août 2022. Ce Règlement mentionne plusieurs fois l’intérêt supérieur de l'enfant et son droit d'exprimer son opinion, tout en permettant aux parents à cheval sur plusieurs pays de choisir le juge compétent pour les questions d'autorité parentale. Je promets de développer ce sujet lors d’une future publication.
Comment pourrait-on rendre les foyers bruxellois plus stables pour les enfants et leur parents ? Cette demande semble émaner des familles-mêmes. Les résultats préliminaires[vii] d’une enquête réalisée en avril-mai 2023 pointent la communication, l'intimité et l'éducation des enfants comme les trois principaux points de discussion difficiles des familles néerlandophones affiliées à la Christelijke Mutualiteit - Mutualité chrétienne. Et même si les 3/4 des personnes interrogées estiment que tout va bien dans leur relation actuelle, presque la même proportion souhaiterait que leur assurance-maladie les aide à améliorer leur bien-être relationnel. Est-ce que cela reviendrait à dire qu’on aperçoit le danger et qu'on demande de l’aide à l’avance ?
Deux nouveaux dispositifs pourraient intervenir dans ce sens en amont du conseil conjugal et de la thérapie de couple, des moyens de soutien individuel par excellence. Le premier dispositif est l'éducation relationnelle pour adultes. Offerte à plusieurs couples, en présentiel ou en ligne, on apprend ensemble à gérer les conflits et à mieux communiquer, c'est-à-dire à mieux exprimer ses émotions, à être attentifs l'un à l’autre pour s’écouter et comprendre le point de vue de l'autre. Il existe au moins une vingtaine de programmes d’éducation relationnelle[viii] dans le monde anglophone et les études montrent que les programmes de groupe donnent de meilleurs résultats que le format individuel[ix]. Dans cette logique de back to school, je fais équipe avec Victoria Ribokas, psychologue à Amsterdam, pour enseigner le programme éducationnel Created for Connection/Hold Me Tight, dont un volet lui est dédié sur mon site. Un guide du facilitateur en français est en cours de traduction : c'est l'un des projets qui me tiennent à cœur et sur lequel je travaille avec Émeline Loader, conseillère conjugale dans la région de Toulouse, en France.
Le deuxième dispositif est l’éducation de l’entourage du couple, le premier confident en cas de détresse relationnelle. La plupart du temps, les époux n'appellent ni les conseillers conjugaux, ni les thérapeutes de couple, mais ils cherchent de l'aide auprès des proches. Ils se confient à un membre de la famille, à un.e ami.e, à un prêtre ou à un pasteur, c'est-à-dire à un MFR (Marital First Responder – secouriste marital). J'ai récemment suivi une formation pour enseigner à ces confidents les compétences nécessaires pour qu'ils puissent jouer leur rôle de manière efficace. Le cours développé par le professeur Bill Doherty (Université du Minnesota) enseigne à toute personne censée devenir un MFR comment éviter les comportements inutiles et la technique L.E.A.P. (Listen, Empathise, Affirm, Offer Perspective) c'est-à-dire écouter, compatir, affirmer et offrir une autre perspective de la situation.
Les conflits familiaux mettent en péril la stabilité de nos foyers. En investissant dans l'éducation relationnelle ou en se formant comme secouriste marital, tout et chacun peut acquérir des compétences pour dompter les conflits et renforcer les fondations de son foyer et des foyers des autres.
Vous souhaitez plus d'informations ? N'hésitez pas à m'envoyer un message ou à m'appeler au 0497 79 77 92 pour discuter de votre situation et de la manière dont je peux vous aider.
[i] Andy Crouch, Moi et ma maison, nous résisterons à Mamon, traduction par Léo Lehmann, Christianity Today, 27 juin 2023 https://www.christianitytoday.com/ct/2022/june-web-only/mammon-argent-foyer-famille-resistance-fr.html [ii] idem [iii] https://statbel.fgov.be/en/themes/population/partnership/divorces [iv] Ligue des familles, Baromètre des parents 2022, https://liguedesfamilles.be/storage/23805/221122-Barom%C3%A8tre-2022-OK.pdf [v] Jacques Marquet et Laura Merla, L'intérêt supérieur de l'enfant dans la mosaïque familiale: ce que cela signifie pour les enfants. (2015) https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal:171174 [vi] Laura Merla et Bérengère Nobels, Gérer l’alternance, ordonner un monde en mouvement, Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], URL : http://journals.openedition.org/rsa/4824 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rsa.4824 [vii] https://www.linkedin.com/posts/coplbelgium_copl-cm-needs-survey-2023-activity-7082362347033382912-aBmh?utm_source=share&utm_medium=member_desktop [viii] Mindy E. Scott and Ilana Huz, An Overview of Healthy Marriage and Relationship Education Curricula, MAST, 2020 https://mastresearchcenter.org/wp-content/uploads/2020/06/MAST-Curriculum-brief-June-2020_final.pdf [ix] Hailey Palmer and Alan J. Hawkins, How or Why Does Relationship Education Work?
A Summary of 6 Years of RE Research https://relationshipeducator.org/blog/research/how-or-why-does-relationship-education-work/
Photo par Thayran Melo sur Unsplash
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